Jean-Pierre Danel - Interview sur un parcours dans l'industrie du disque
Jean-Pierre Danel n'est pas un people chouchou des médias mais est
considéré par beaucoup comme l'un des grands guitaristes de l'hexagone. Il y a
bien sûr d'autres solistes réputés, mais aucun n'a classé 10 albums de guitare
instrumentale au Top 50, dont un N°1, plus un album vocal centré sur la guitare.
Et pour cause : Danel est un cas unique en son genre dans le Top français, et il
en étonne plus d'un. Cela se sait assez peu, car les charts officiels des ventes
réelles de disques sont opaques pour les non-professionnels, mais les chiffres
parlent d'eux-mêmes.
Après une carrière solo menée en dilettante, voilà cinq
années que Jean-Pierre Danel aligne régulièrement des hits discrets mais
solides, notamment avec ses albums Guitar Connection et désormais avec
Out of the blues, son premier album vocal.
Il cumule aussi
16 singles (dont 15 instrumentaux) qui ont tous atteint le Top (parfois avec des
fortunes diverses), autre fait d'armes sans concurrence. Car classer des disques
d'un pareil genre musical, banni de l'airplay des radios et jamais sollicité par
les médias de façon générale, est, simplement, jamais vu. Sans compter quatorze
albums instrumentaux, un disque essentiellement vocal, et deux semi
instrumentaux qu'il publie sous divers pseudonymes dans les années 90. 28
disques de guitare classés en France sous son propre nom, et 16 sous des
pseudos... Un album de duos avec 24 invités de renom (Bertignac, Voulzy, Bauer),
ou encore un dvd avec Michael Jones, triple disque de platine... Beaucoup
aimeraient pouvoir en dire autant.
Cumulés, ses albums et dvd de guitare, en
France et à l'étranger, lui ont valu pas moins de 43 disques d'or, argent et
platine (+ 17 autres pour ses disques sous divers autres pseudonymes). Ajoutez à
cela qu'il a plus que triplé ce chiffre global avec ses autres productions pour
divers autres artistes. De quoi voir venir...
Petit récapitulatif de son
historique d'exception dans le Top français et avis du principal
intéressé...
Débuts
précoces
En 1982, Jean-Pierre
Danel est guitariste pro. Il a alors 14 ans. Il fait des tournées
et
enregistre sur disque pour divers artistes, tout en continuant ses études. Il
prépare aussi ses propres enregistrements. Son premier 45 T d'artiste en France
sort finalement en 1989 chez Flarenasch/Carrère, et est un mélange
original : même chanson, version vocale en face A et version jouée à la guitare
en face B, car on lui déconseille la musique instrumentale. Chez toi et
moi est diffusé quotidiennement sur NRJ et quelques FM, et le
titre se retrouve du même coup classé N°78 de l'airplay radio (le fameux
classement Media Control). Le disque ne sortira pas dans les bacs pour
des raisons contractuelles, et ne pourra donc concourir à une éventuelle entrée
au Top 50. Mais c'est un bon début...
A cette époque, Danel se consacre
plutôt à la production, qu'il ne lâchera jamais complètement. Il s'y avèrera
l'un des indépendants les plus gâtés de l'histoire du Top 50, inscrivant en
moyenne inédite d'un disque classé par mois depuis 21 ans. Alternant créations
originales et produits plus commerciaux, il monte un vaste catalogue de plus de
15 000 titres (qui sera le plus gros parmi les indépendants français des années
95/2005), et toutes les majors distribuent ses productions.
Il se forge un
parcours auquel bien peu peuvent prétendre : 21,4 millions d'exemplaires
vendus,
232 disques classés dans le Top Ifop des meilleures ventes et 173
disques certifiés argent, or,
platine et diamant. En 2002 et 2003, Puzzle
Productions, sa société créée en 1989, pèse 2,3% du marché français, une
première pour un producteur indépendant. En 2002, il pulvérise un record envié,
en alignant 19 de ses productions au Top la même semaine (dont le N°1). Le
second meilleur résultat du genre est de 12 disques classés simultanément – et
Danel le détient lui-aussi, partagé cette fois à égalité avec Henri Belolo
(producteur des Village People et bien d'autres).
Et malgré la crise du
disque apparue depuis, la belle aventure continue...
Ces chiffres incluent
ses enregistrements en tant qu'artiste instrumental, dont il est également le
producteur. Et là, petite surprise : Danel pèse un bon 10% de son propre et
volumineux catalogue...
Même si un bon 30% des hits de Danel « producteur »
sont constitués de back catalogue (rééditions) ou de compilations (dont il est
parfois coproducteur avec d'autres partenaires), le résultat global laisse
songeur, quand on sait le parcours d'obstacle qu'est la moindre entrée au
Top...
Quel producteur ne rêverait pas d'afficher plus de 200 hits au
compteur ? Et combien sont-ils à y être parvenu ? 2 ou 3, peut-être 4. Et
encore.
Parcours original d'un homme qui porte aussi bien la casquette
d'artiste que celle de producteur... Cela vaudra bien un article de fond un jour
sur ses productions, mais pour l'heure, c'est sur les étonnants hits
instrumentaux de Jean-Pierre Danel l'artiste que nous nous penchons.
Car,
malgré les conseils reçus dans les années 80, le guitariste a
insisté...
Premiers succès
discrets
Apparemment têtu, Danel Jr (son père Pascal est
l'auteur de gros tubes des 60's) persiste à enregistrer de l'instrumental et
réalise plusieurs albums de guitare qui sont publiés à l'étranger, et dont
certains seront plus tard édités en France. Le manque d'archives officielles
fiables sur les anciens charts de certains pays (comme les Pays Bas ou la Suède)
est hélas frustrant, mais restent les chiffres de ventes, et, dans les années
90, Danel obtiendra un disque d'argent et un disque d'or en Grande Bretagne,
deux disques d'or en Belgique et deux aux Pays-Bas. Il aura également deux
disques d'argent en France et un disque d'or, avec des albums classés dans le
Top assez brièvement mais bien vendus sur la durée. Il fera bien mieux dans les
années 2000...
Toutefois, en attendant, si le parcours n'est pas celui
d'un Johnny ou d'une Madonna, il ferait bien envie à nombre d'artistes installés
et surtout, il est tout à fait bluffant si l'on tient compte d'un élément
fondamental : il s'agit de guitare instrumentale.
Les années 90
voient Danel sortir en France trois albums accompagnés de pub tv (alors qu'une
trentaine seront diffusés à l'étranger, culminant en 2000 avec
Stratospheric, qui reçoit deux Awards aux Etats-Unis et sort dans 34
pays (mais n'est disponible chez nous qu'en import).
En 1993, Chorus
est N°25 du Top en France (et N°9 en Belgique où il reçoit un disque d'or).
Puis, en
1994, Remember Shadows – Les années Shadows est
N°34. Si le disque se vend lentement, il atteindra malgré tout en 1998 le seuil
du disque d'or lors de sa ressortie en version double cd augmentée de bonus
tracks. La Belgique suit avec une version locale qui reçoit un disque d'or
également.
Enfin, en 1997, Guitar Line se classe brièvement N°61 et
recevra un disque d'argent, tandis que le
single extrait rate le Top. Deux
disques d'or suivent aux Pays-Bas.
Satisfaisant mais espéré sans doute pour
un artiste qui serait appuyé par les médias, mais plutôt hors norme pour de
l'instrumental, genre parfaitement marginal. Pas encore de quoi faire de Danel
un véritable guitar hero national cependant.
Stratospheric
sort en 2000 dans de nombreux pays. Si les ventes restent assez limitées, la
critique est excellente, et deux prix sont remis à Danel aux USA. L'année
suivante, Sony publie un album reprenant des titres – inédits ou non,
selon les cas – d'une vingtaine de guitaristes internationaux. Eric Clapton, BB
King, Carlos Santana et d'autres forment « Les Masters de la guitare –
L'album des plus grands guitaristes du monde », et Jean-Pierre Danel y est
le Frenchy de service. Flatteur.
S'il continue ses sorties d'albums
instrumentaux en Europe du Nord, USA et Japon avec un succès critique régulier,
il se consacre surtout à la production et la France devra attendre quelques
années pour qu'il signe chez Sony Music, avec un album qui marquera un
tournant dans sa carrière artistique
française.
N°1
Guitar
Connection sort en juillet 2006, chez Sony et avec pub tv. L'album
fait une entrée
surprise et spectaculaire au N°7 du Top. La maison de disque
qui ne visait même pas le Top 100 est abasourdie...
Mais le meilleur reste à
venir, puisque l'album se hisse au N°1 des ventes françaises pour deux semaines
consécutives, coiffant au poteau tous les cartons du moment. Un cas unique dans
les annales du Top et du SNEP pour un disque de guitare. Guitar
Connection occupe durant trois autres semaines la seconde marche du podium,
pour finalement rester dans le classement plus de cinq mois. Impensable pour un
disque de guitare instrumentale en France. Un double disque d'or et un dvd
double diamant viennent couronner ce succès, suivis plus tard par un album de
platine. L'album atteint par ailleurs le N°3 en Belgique, où il est également
disque d'or. Seule ombre au tableau, un petit N°70 seulement en Suisse... Mais
la machine est lancée.
L'album reviendra brièvement au Top en 2009,
profitant de la sortie du nouveau disque du moment,
en se classant joliment
au N°7 en back catalogue. Il en est à plus de 160 000
exemplaires.
Guitar Connection 2 sort au printemps 2007 et se
classe au N°8 (et N°7 en Belgique). Disque d'argent puis finalement disque d'or,
et triple disque de platine pour le dvd, le tout agrémenté de bonnes critiques :
c'est un nouveau succès. Danel rafle au passage l'éphémère Grand Prix
Français de la Guitare. Le disque reviendra dans le Top en 2009 au
N°33.
Guitar Connection 3 sort en 2008 et fait un peu moins
bien que ses prédécesseurs, avec un classement au N°18 et un disque d'argent.
Les ventes sont trois fois moins importantes que celles du volume 1, dans un
marché entre temps effondré. Le dvd recevra cependant un double disque de
platine, et si l'album ne crée pas l'évènement du premier volume, la présence de
Danel au Top en tant qu'artiste s'est ancrée dans la régularité, renforcée par
celle de ses singles. L'album reviendra furtivement dans le Top une courte
semaine, au N°26, en décembre 2009.
L'album suivant, Guitar
Connection – Tribute to The Shadows, sort en 2009 en téléchargement
uniquement et retrouve de belle manière le Top 10, en grimpant au N°6. Le
meilleur résultat de la série depuis le premier disque en termes de classement –
mais pas en termes de quantité vendue, dans un marché à l'agonie. La déclinaison
vidéo recueille un dvd de platine.
The Best of Guitar
Connection sort en téléchargement lui aussi, à la fin de l'été 2009,
accompagné d'une version vidéo. Il entre au Top au N°23, ce qui reste un honnête
résultat, d'autant qu'il ne bénéficie pas de la publicité télévisée des premiers
volumes. Avec un dvd certifié disque de platine, ce volume permet à Danel de
signer chez Universal un cd/dvd physique cette fois-ci, qui reprendra
en fin d'année le même principe sous le nom de Guitar Connection
Anthology.
Entre temps sort une version double album de l'hommage
aux Shadows, avec de nombreux inédits (14 titres), intitulée cette fois
Jean-Pierre Danel plays The Shadows. Moins de 8 mois après le volume
simple qui s'est bien vendu, c'est un pari marketing un peu risqué, mais l'album
se classe tout de même N°38... avec un dvd d'or au passage. Toujours dans un
quasi silence médiatique.
Dès la semaine suivante, c'est Guitar
Connection Anthology qui débarque dans les bacs physiques cette fois, en
plein marché de Noël qui reste le seul moment de forte consommation de disques
de l'année. Sorti également en kiosques, l'album se classe N°19 et le dvd reçoit
un disque d'or.
Entre nouveaux albums, compilations et réentrée
d'anciens disques dans le Top, Jean-Pierre Danel aura aligné 7 albums au Top 50
en 2009, sans compter plusieurs singles. Qui dit mieux ?
2010 se place
sous de bons auspices du côté de l'Ifop, avec un premier extrait en
avant première de son album caritatif de duos, le titre instrumental Out of
the blues, entré au Top Singles des téléchargements, au N° 20, puis un duo
vocal avec Axel Bauer classé N°36. L'album, lui, sort d'abord en
téléchargements, et se classe N°3. La version physique arrivera ensuite, avec de
bonnes précommandes en magasins. Parallèlement, son dvd de blues en duo avec
Michael Jones est distribué en kiosques (N°7 des ventes de la semaine) et reçoit
un triple disque de
platine.
Incognito
A la marge de ses
albums de guitariste, Danel a également sorti nombre d'albums instrumentaux dont
il est l'interprète dans les années 90 et 2000. Là encore, on les retrouve
classés au Top, ce qui n'est pas banal pour de l'instrumental. Les produisant et
les interprétant sous des pseudonymes divers, il publie quatorze disques
mélangeant thèmes connus et compositions maison (à la guitare parfois mais plus
généralement aux claviers). Ces albums (Paranormal Activity, Plus de Peur,
Les 100 Ans du Cinéma, etc.) s'appuient sur des thématiques variées,
émanant de films et séries dont les morceaux choisis sont le générique, mélangés
à des titres originaux. Le répertoire reste instrumental, mais se rattache cette
fois à un produit à la diffusion bien plus large. Une exception : un album
instrumental mais qui inclue quelques samples vocaux : l'album Buddha
Bar au profit d'Amnesty International, que Danel produit et
interprète en 2001, et qui n'est composé que de titres originaux. Un carton
international. Il interprète aussi un album plus commercial mélangeant chansons
pour enfants et karaoké pour les petits, et qui est hit à nouveau.
Le cas
reste suffisamment rare pour être relevé, car pas moins de 14 albums
instrumentaux et deux semi instrumentaux classés au Top, c'est à nouveau un
résultat inédit pour un même artiste, même sous des pseudonymes. On compte parmi
ceux-ci deux Top 5 et six top 10. Neuf de ces albums seront disque d'or, l'un
d'eux obtenant même un double disque d'or, Buddha Bar se hissant
jusqu'au triple album de platine.
Danel cumule 44 disques (essentiellement
instrumentaux) dont il l'est l'artiste interprète classés au Top Ifop.
Des chiffres que l'on pensait réservés aux stars de premier plan... Il y ajoute
188 de ses productions dont il n'est pas l'interprète (bien qu'il ait parfois
pris sa guitare sur ces enregistrements), soit un total rarement atteint de 232
disques classés au Top à ce jour. On y dénombre 20 N°1 et plus de 130 Top
10.
En tant qu'interprète (et producteur), sous son nom et sous divers
pseudonymes, il aligne pile poil 60 disques d'or et platine, auxquels
s'ajoutent, en tant que producteur uniquement, 113 autres trophées or, platine
ou diamant, soit 173 en tout. De quoi donner le tournis aux
Staracadémiciens !
Singles
Côté
singles, Danel n'aligne pas de succès radio populaire ni d'énorme carton dans le
Top en tant qu'artiste (il n'atteint jamais le N°1), mais il cumule tout de même
un score plutôt bluffant : 16 singles classés, dont un Top 5 et deux autres
titres dans le Top 10. Un seul titre est vocal (« Rock me baby » en duo avec
Axel Bauer, N°36). La majorité des autres se classe dans le Top 20 et le Top 30,
et deux stagnent plus bas dans le tableau (N°39 et N°43). Aucun n'est disque
d'or ou d'argent à ce jour.
Il est à noter qu'il s'agit là des seuls singles
de guitare instrumentale classés depuis
les années 70 (Santana et son
Europa et un titre de ... Nicolas de Angelis) et le hit de Dave Stewart
et Candy Dulfer, moitié guitare moitié saxophone, Lili was here, en
1990.
Cette salve de hits de Danel s'explique notamment, outre le succès de
ses albums, par les récentes évolutions du marché et des nouvelles modalités du
Top qui en découlent depuis 5 ans : les singles se vendent désormais davantage
en téléchargement qu'en produits physiques, et il est possible de les réserver
en précommande, regroupant ainsi l'essentiel des ventes lors de la semaine de
sortie commerciale, ce qui favorise les chances d'une éventuelle entrée dans le
classement des ventes (cela se pratiquait avec les singles physiques également,
mais le phénomène a pris de l'ampleur). Toutefois, cette règle étant la même
pour chacun, la concurrence reste rude, et l'entrée dans le Top en elle-même
n'est accessible qu'avec un certain volume de ventes.
Des possibilités
s'ouvrent et de nouvelles approches apparaissent, faisant ainsi évoluer le
marché et donc le Top, à défaut de le rendre plus accessible. Au Royaume Uni, le
N°1 de Noël 2009 fut un titre du groupe Rage Against the Machine datant de ...
1992 et soutenu par les fans via une campagne intensive orchestrée sur
Facebook... Le groupe atteint le sommet des ventes avec un vieux titre
inconnu au nez et à la barbe des cartons du moment. Les temps changent !
Les
résultats du Top sont toujours aussi représentatifs d'un marché découpé à la
semaine, et qui favorise depuis toujours les ventes rapides, ouvrant avec le net
la voie à ce genre d'exploit encore irréalisable il y a 5 ou 6 ans.
En
Angleterre toujours, depuis 10 ans, seuls 3 singles majeurs ont vu leur
classement progresser après leur semaine d'entrée dans le Top. La norme est de
faire le plein en première semaine pour aller au plus haut dans le classement,
et de redescendre ensuite. C'est en général devenu la règle en France et
ailleurs depuis les années 2000.
La différence entre le marché physique
et celui ouvert par le net, c'est qu'aujourd'hui, un single qui ne bénéficie pas
ou peu d'airplay (passages radio ou télé) est malgré tout disponible à la vente
en ligne, alors que les magasins « physiques » refusent par principe de mettre
en bac tout single qui n'est pas classé au Top des diffusions radio (média
control, désormais appelé Yacast ou Musicast).
Ainsi,
une chanson peu connue du grand public ou même ancienne est présente à la vente
et pourrait très bien entrer au Top si une masse de gens l'achetaient une même
semaine en ligne (c'est ce qui s'est produit pour Rage Against the Machine). On
a quelquefois vu le cas, moins marqué, en France également avec Les Enfoirés,
dont des titres qui ne sont pas des singles physiques sont parfois entrés au
Top, où lors d'évènement particuliers (en 2009, plusieurs titres anciens de
Michaël Jackson ou Alain Bashung sont entrés dans les charts au moment de leur
disparition, uniquement grâce aux ventes en téléchargement. Pareillement, Jean
Ferrat débarqua dans le Top avec « La Montagne », qui n'existe pas en
single physique). Mais le Top reste cependant réservé à une certaine élite
commerciale, et aucun indépendant n'a encore réussi à s'y glisser, faute de
quantités suffisantes.
Les artistes déjà reconnus comptent sur leur « fan
base », c'est-à-dire sur les gens qui suivent leur actualité. Ce public captif
est souvent abonné aux newsletters des sites web de leurs artistes favoris. Dans
le cas de Danel et de centaines d'autres, les singles sont annoncés un peu à
l'avance et font l'objet parfois de précommandes (comme dans le marché physique
d'ailleurs). Si elles sont assez nombreuses, étant livrées d'un coup, la semaine
de la sortie commerciale, le titre peut avoir une chance d'entrer dans le Top.
Mais la concurrence des tubes fortement diffusés en radio reste de loin la plus
forte. Toutefois, Jean-Pierre Danel fait partie des rares artistes à avoir
réussi de jolis exploits en la matière.
Une niche dans
l'histoire du Top
La synthèse de
la carrière discographique de Jean-Pierre Danel se décompose comme
suit :
côté singles, avec 16 titres classés au Top (dont 1 hit vocal),
Jean-Pierre Danel est l'artiste purement instrumental le plus souvent classé de
l'histoire du disque en France (même Jean-Michel Jarre est battu, avec 11
singles classés, dont 2 comportant des voix). Résultat à relativiser, car les
hits de Jarre, second de ce classement, sont indéniablement bien plus populaires
auprès du grand public.
Côté albums, Danel se classe second, derrière Jarre,
qui avec 18 albums classés (studio, live et compilations), bénéficie d'une
confortable longueur d'avance (10 albums classés à ce jour pour Danel, sans
compter un album vocal et ses albums classés mais interprétés sous un
pseudonyme). Mais ces deux-là partagent l'honneur d'être les seuls – hors
musique classique – à s'être classé N°1 avec un album instrumental.
Si l'on
excepte le classique, 30 ans exactement s'écoulent entre les deux seuls et
uniques albums instrumentaux N°1 de l'histoire du disque en France :
Oxygène, en 1976, et Guitar Connection, en 2006. Aucun autre
disque 100% instrumental, y compris les bandes originales de films, n'atteindra
jamais le N°1, exception faite de trois disques classiques : une compilation,
l'hommage best of de Karajan et le premier album d'André Rieu. Côté B.O.F,
Le Grand Bleu par exemple ou Titanic furent bien N°1 mais
contiennent plusieurs titres vocaux, et les B.O.F instrumentales Star Wars,
Love Story ou Il Etait une fois dans l'Ouest ne seront pas N°1,
malgré des ventes très importantes. Aucun autre artiste, que ce soit dans la
pop, la dance, ou la world, ne classe un album instrumental N°1 depuis l'après
guerre (cf notre article d'octobre 2009 sur la musique
instrumentale).
Avec à ce jour 28 disques – albums et singles - de
guitare classés au Top 50 sous son nom (dont 1 single et 1 album en partie
vocaux), Jean-Pierre Danel s'est fait une place totalement à part dans
l'histoire de l'industrie musicale française. Une niche sans doute, mais où
figurent des artistes de qualité et parfois des ventes considérables, malgré une
faible exposition médiatique dans l'ensemble.
Après ce flot de chiffres,
il serait intéressant de discuter avec celui qui se trouve derrière ces
disques... C'est évidemment ce que nous avons
fait !
L'interview
Inventaire
et analyse des résultats dans les
charts
Jean-Pierre Danel est un homme
accessible et discret, et qui n'a visiblement pas la grosse tête de certains
pontes du show biz. Une interview pleine de franchise,
donc...
« Je vais
m'y mettre sérieusement un
jour »
Votre
parcours dans les charts mérite qu'on s'y arrête pour mieux le comprendre, car
il est étonnant pour des non-initiés. Dans un article récent, malgré 28 disques
classés au Top en France, on vous a surnommé le « soldat inconnu du Top
50 »...
Oui, j'ai vu ça ! Je comprends très bien
d'ailleurs... Disons que mes disques de guitare reçoivent très peu de promotion
traditionnelle, ce qui fait que le grand public ne me connait presque pas, à
part ceux qui ont acheté les albums... Alors leur présence au Top les fait un
peu passer pour un genre d'OVNI, et moi avec... C'est une chose qui me va bien
comme ça.
Une popularité underground.... Vos propres disques
en tant qu'artiste sont, il est vrai, d'un genre incongru dans le
Top...
Il parait, oui... Je le conçois très bien.
L'instrumental m'a malgré tout plutôt porté chance. Surtout depuis Guitar
Connection, où chaque disque est relativement bien reçu. Mais c'est
inattendu...
Sans parler de vos albums instrumentaux des
années 90, sur le cinéma ou autres thématiques...
Ah oui !
Mais il s'agissait beaucoup de reprises, avec quelques inédits que j'écrivais
souvent en courant ! Mais je n'étais pas trop mécontent de certains concepts,
comme Paranormal Activity ou Plus de Peur, oui... Ca marchait plutôt bien à
cette époque là.
Depuis, vous avez fait un chemin plus
personnel, avec plusieurs albums... Comment s'est passée la sortie de Guitar
Connection ? Ca a été compliqué ?
Plus que compliqué !
Sony, avec qui je travaille très souvent en tant que producteur, m'avait demandé
de leur proposer diverses idées un peu atypiques, car le marché s'effondrait et
ils cherchaient des choses un peu originales. Je leur ai fait une liste de
choses variées, dans laquelle il y avait le principe de Guitar Connection, qui
est un nom que je n'ai suggéré que plus tard. Un album de nouveaux
enregistrements, mêlant reprises à ma sauce et inédits. Ils n'étaient pas
enthousiastes, mais le chef du département Special Marketing, Dominique Gorse,
aimait bien l'idée malgré tout. Ils m'ont demandé une démo – car le fait que je
dise être l'interprète de ce projet les effrayait totalement ! Ils ne me
connaissaient que comme producteur, et pensaient que je jouais de la guitare
pour me faire plaisir le week-end. J'ai donc enregistré 4 titres, et l'idée de
faire l'album fut acceptée à la rentrée 2005. Le projet avança doucement en
studio, mais entre temps, il fut annulé. Je revins à la charge en y ajoutant la
possibilité de faire un dvd qui montrerait notamment comment jouer les titres du
disque, plus un making of et un reportage sur les guitares. Le projet fut alors
relancé, mais de nouveau annulé, alors que je venais d'enregistrer plusieurs
titres avec un orchestre classique. J'avais fait filmer les séances avec
l'orchestre, et à l'écoute des titres et en voyant les images, ils furent à
nouveau convaincus. Puis ils annulèrent la pub télé. Je me suis battu, et ils
repoussèrent la sortie de mai à juillet, pour que les spots sur TF1 soient moins
chers, car pendant les vacances d'été il y a moins d'audience. Ils avaient un
objectif de 7 à 8 000 disques – ce qui est déjà énorme pour un album de ce type.
Je leur disais qu'avec un bonne pub on pouvait en vendre 20 000, car il y a de
nombreux fans de cette musique à qui on ne propose jamais rien, sauf à aller
fouiller au fond des bacs d'imports hors de prix. Mais ils n'y croyaient pas. Je
me souviens que le soir de la sortie, ils avaient eu les chiffres du Virgin, et
ils étaient hallucinés que je sois entré 87ème des ventes de la journée dans
cette enseigne avec quelques heures dans les bacs seulement. Puis ça a continué
de grimper... A la fin de la semaine, ils sont tombés de leur chaise quand on
est entré N°7 du Top national. Ils m'appelaient 5 ou 6 fois par jour pour me
donner les tendances par enseigne (Fnac, Virgin, Carrefour, Auchan, etc.), car
ça montait encore. 8 jours plus tard, on était finalement N°1 partout, et ils
furent en rupture de stock le mercredi soir de la seconde semaine, car ils
n'avaient pas pressé assez de disques. Le temps de réapprovisionner, on allait
rater les ventes du week-end. Alors la question n'était plus de savoir si on
aurait un succès quelconque, mais de savoir si on grimperait au N°1 sur toute la
semaine... C'était plutôt drôle, étant donné d'où on était partis ! J'étais dans
ma maison de campagne, et je suivais ça au téléphone. Je suis passé au bureau à
Paris le jour où le Top de notre seconde semaine dans les charts tombait. Et les
gens de Sony m'ont appelé, hystériques : « On est N°1 !!! ». Ils étaient au
champagne... On l'est resté la semaine suivante aussi, et ils me parlaient du
disque d'or depuis un moment déjà, d'un volume 2 devenu indispensable, et du
fait que j'étais désormais un artiste qui compte... Ca m'a bien fait sourire...
Les autres maisons de disques me téléphonaient effarées : « Mais qu'est-ce que
tu fous N°1 du Top ???! » ». Bref, les boss de Sony se succédaient au téléphone,
et m'appelaient depuis leurs lieux de vacances, comme si j'étais leur
bienfaiteur inespéré ! Au passage, mon disque de guitare improbable était devenu
« leur » disque... ! On en a vendu 130 000 pendant l'été, et encore un peu
après. 150 ou 160 000 en tout maintenant je crois. On a eu des articles dans la
presse spécialisée, car le petit monde du disque en était tout retourné, et la
directrice générale de Sony citait l'album en exemple dans des interviews. On
devait caler un Olympia, mais la directrice est partie, et le projet a été mis
au placard. Ils organisèrent une remise de disque d'or en grandes pompes à la
rentrée, avec plus de 60 personnes de la maison, chacune avec son petit cadre
doré, les médias, des invités, etc. Le PDG, Christophe Lameignère, déclara
devant les caméras : « Je viens toute honte bue, car j'ai annulé ce projet 4
fois... ». Au moins, c'était honnête de sa part... Puis il m'a demandé : « Tu as
fait comment ?? »... !
Votre poids en tant que producteur a
pesé dans la balance ?
Je ne sais pas exactement. Ca ne m'a
jamais été dit comme ça en tous cas... Mais ça n'est pas impossible. Je n'en
sais rien en fait.
Guitar Connection 2 a confirmé ce
succès...
Oui en gros, pour ce qui concerne le public, et
plus ou moins pour la maison de disques, au sens où Sony, qui passe d'un excès à
l'autre, espérait un nouveau N°1... Alors, N°8, vous pensez, c'est un affront
terrible... !
Cependant, le Top 10 pour un disque de guitare
instrumentale, c'est inédit depuis au moins 30 ans, à part le premier Guitar
Connection...
Oui, je sais bien et ils le savent aussi. Si
on nous avait garanti le Top 10 ou le Top 20 pour le premier album, on aurait
signé à genoux ! Mais bon, la barre était haute, et vu le score un peu délirant
du premier, ils s'attendaient à je ne sais quoi. Paradoxalement, ils ont divisé
la campagne de pub par trois pour ce volume 2, estimant qu'étant donné le
résultat du premier, on n'en avait plus besoin... Je crois bien que ce fut une
erreur...
Donc : un disque d'or paradoxalement perçu avec
une certaine déception ?
Pas réellement... Je ne sais pas
vraiment. Plus ou moins pour eux peut-être, je crois, car les ventes furent
moindres. Disons que toute suite qui fait un peu moins bien que son prédécesseur
a tendance à décevoir, même quand le résultat est en soit excellent, ce qu'il
était en l'occurrence. En tous cas, je recevais moins d'appels hystériques de
leur part ! Mais ça restait une belle confirmation. Et paradoxalement, on a eu
plus de singles classés dans le Top avec cet album qu'avec le précédent... Mais
bon, ça n'était pas la folle excitation du premier, c'est certain. On n'a
d'abord été seulement disque d'argent, le disque d'or est venu avec le temps et
aussi avec l'abaissement des paliers de certification du SNEP. Le dvd a reçu un
disque triple platine je crois.
C'est pour ça que vous avez
quitté Sony pour Warner ?
En partie, oui. Je sentais bien
que le principe d'un volume 3 ne les excitait pas plus que ça, et ils ont mis
huit mois à me le dire. Je n'ai pas cherché à me battre, et je suis parti chez
Warner. Ils y ont mis moins de moyens marketing, mais au moins ils ont sorti le
disque dans des conditions correctes.
Un album qui s'est
retrouvé N°18 et disque d'argent...
Oui. Là, c'était
effectivement un peu moins bien, mais bon, sans vouloir me justifier, et comme
vous le disiez : des disques de guitare instrumentale dans le Top 20, je n'en ai
encore jamais vu, malgré tout, à part mes deux disques précédents... Cela dit,
j'avais prôné au départ un renouvellement du concept, en y ajoutant des parties
vocales. J'avais même produit une démo sur ce thème, que je présentais dans le
volume 2. Les réactions du public que j'ai reçues par email étaient très
positives. Mais Warner n'a pas voulu prendre le risque de s'écarter d'une
formule qui marche... On est donc repartis sur le même principe, mais avec
beaucoup moins de pub, et en plein milieu de l'été. Je pense qu'on aurait dû
faire un meilleur score au Top, mais en même temps, ça restait tout de même un
très bon résultat.
Cela a conditionné la suite de quelle
manière ?
Le label chez qui j'étais n'avait plus le budget
pour continuer à investir sur TF1 avec la chute générale des ventes. Alors les
deux disques suivants, qui n'étaient que des compilations d'anciens
enregistrements, sont sortis en téléchargement, par
prudence.
Et vous êtes revenu dans le Top 10, en vous
classant N°6
Oui, malgré tout... Mais c'était un album
consacré aux Shadows, qui ont de nombreux fans, très accrocs, qui collectionnent
tout ce qui sort. Ca a aidé bien sûr. Mais enfin, on était plutôt
contents.
La suite fut bien accueillie également
...
Ca s'est correctement passé. Pas d'éclat grandiose,
mais des résultats suffisamment solides, oui... Le Best Of était 23ème du Top je
crois. C'est pas trop mal pour un contenu sans pub, ancien et déjà acheté par
les fans de la série...
Le label a enchaîné les
sorties...
Oui... Ca n'a pas arrêté ! Ils ont fait dans la
foulée une version en double album du volume consacré aux Shadows, à peine 7
mois après la sortie de l'album original, et on était juste quelques semaines
après le Best Of... C'est sans doute précipité...
Un disque
classé 38ème du Top
Oui. Ce qui, étant donnée la fréquence
des sorties, est presque une bonne surprise ! Et comme ça a bien marché,
Universal est venu me chercher, sans que je leur demande quoi que ce soit, pour
un best of de fin d'année. 3 albums en 4 mois... Plus celui du début d'année...
Ridicule ! Mais ils n'ont finalement – contrairement à ce qui m'avait été
annoncé - pas investi en pub tv, et ils ont juste sorti une autre compile,
Guitar Connection Anthology... au pire moment, c'est-à-dire quand il y a une
concurrence folle et que tout le monde a un marketing télé énorme ! Bref... Les
ventes ont été assez bonnes, pas de quoi faire exploser le Top, mais ça a
été...
Le disque a atteint la 19ème place des ventes en
kiosques
Ils ont insisté davantage sur ce marché là, oui.
Je crois que ça n'était pas le but du label de lutter avec les blockbusters de
la grande distribution en plein Noël, sans pub télé, et avec notre disque qui
était une édition limitée de toute façon. En dehors des kiosques, avec une mise
en place en magasins traditionnels de 12 000 exemplaires si je ne me trompe pas,
et un rythme de vente assez lent, ils ne visaient pas le sommet des charts, mais
une présence destinée aux fans de la série. Cela dit, au total, les ventes
furent finalement proches de celles de Guitar Connection 3, et Universal a été
satisfait. Le dvd est double disque de platine, ce qui est un résultat fort
acceptable. Ils vont refaire une opération sur ce disque, preuve qu'ils en sont
contents.
Guitar Connection 3 est aussi ressorti en kiosques
pendant les fêtes, profitant de l'actu de la compile, et se classant à nouveau
au Top, comme ses prédécesseurs un peu plus tôt dans
l'année
Oui, mais pour une semaine seulement... Ce sont les
résultats du marketing !
Parlons des
singles...
Les singles, c'est une autre histoire. Sans le
téléchargement sur ITunes et autres, on aurait eu bien plus de mal. Sony a
failli sortir mon duo avec Laurent Voulzy en cd physique, mais le marché est
tellement bas qu'ils ont renoncé. Mais du coup, on a fait un effort de
communication sur les singles en downloading. Avec des mailings et des
newsletters, l'information est bien passée auprès des gens qui nous avaient
écrit au sujet des albums. Nous avons un important stock d'adresses emails de
fans de la série, et ils ont toujours été prévenus des singles, qui sortaient
parfois en avant première. Fender nous a aidé aussi. D'où un certain résultat
immédiat, qui donne une impulsion de départ, et ensuite fait boule de
neige.
Malgré le manque d'airplay
radio...
L'absence d'airplay vous voulez dire ! Je passe
parfois à droite à gauche mais c'est très anecdotique. Ca donne d'ailleurs un
curieux résultat, parce que ce sont des hits que personne, à part les acheteurs,
ne connait ! C'est sans doute pour ça que les médias les ignorent. Mes
classements sont annoncés comme pour tout le monde dans l'émission du Top 50 sur
le câble, ou sur les sites et dans les journaux qui y sont consacrés, mais
personne ne réagit tellement dans les médias... Ils doivent se dire « Ah tiens,
encore lui ! Mais c'est quoi ce truc ??! », et ils passent à autre
chose !
Ce qui n'a pas empêché de bons
résultats
Non, sans doute parce qu'il y a un nombre un peu
conséquent de gens qui suivent mes disques malgré tout. Les gens ont identifié
les albums grâce à la pub télé, mais les singles, c'est plutôt le net qui a
aidé. Ca a créé une petite communauté qui suit ce qui se
passe.
De tous vos singles et albums depuis Guitar
Connection, aucun n'a raté les charts
Je ne sais pas si ça
durera, mais c'est vrai, oui.
D'autres singles sont-ils
prévus ?
Je ne sais pas encore... Parfois un single est un
bon moyen de promotion ou de relance, mais parfois il peut également nuire à la
vente d'un album, car s'il en est le reflet le plus intéressant, l'achat de
l'album devient inutile...Or, l'album reste la priorité de la maison de disques,
pour des raisons financières... Donc, à ce stade, je ne sais pas du tout ce qui
sera décidé. Ca va dépendre de l'évolution du marché... On verra pour la suite
de l'album actuel, qui est un disque de duos ou autres... Le label sortira en
janvier le trio avec Bertignac et Beverly Jo Scott en single, car le titre est
beaucoup téléchargé sur Itunes et reçoit de bonnes critiques. La présence de
Louis donne du crédit à ce petit truc que j'ai écrit en 10 minutes ! Je suis
très surpris de son impact... Je ne sais pas encore. C'est devenu tellement
difficile, que tout se complique...
Justement, malgré un
marché sinistré, vos ventes d'artiste se portent
bien...
Relativement au marché, à peu près bien, oui, et
c'est d'ailleurs un des intérêts du Top que de pouvoir mesurer cette proportion
avec la relativité de la baisse générale des ventes. Les volumes se sont
effondrés pour tout le monde, mais dans ce contexte là, chacun continue sa route
proportionnellement aux nouvelles règles du jeu, et on s'en sort pas plus mal
que d'autres.
Avec 2010, vous avez entamé comme artiste une
cinquième année de hits ininterrompus depuis Guitar Connection
(2006/7/8/9/10)
5 ans ? Ah oui... Eh ben, c'est pas si mal,
alors !
Et, à 41 ans... une quatrième décennie (80's, 90's,
2000's, 2010's) !
On m'a fait remarquer ça il y a peu... Je
deviens vieux !!
C'est surtout un résultat peu fréquent.
Sans flatterie, rares sont ceux à jouer dans ce
tableau...
Pour être tout à fait franc avec vous, c'est une
chose que je ne mesure absolument pas, sauf par bribes, lors de brèves occasions
particulières, comme aujourd'hui. J'ai toujours l'impression qu'il faudrait que
je mette enfin à faire quelque chose de sérieux... Par exemple, j'ai parlé avec
une amie au nouvel an et je lui disais que je devrais peut-être finalement
démarrer une carrière musicale...Elle m'a regardée ahurie ! Avec le recul, je la
comprends un peu... Mais ce que je voulais dire, c'est que pour moi, une
carrière musicale, ce ne serait pas cette ballade en dilettante que je fais et
dont je ne me rends même pas vraiment compte, mais un truc construit, créatif,
évolutif, en ayant un plan de carrière, ou au moins de style musical défini, une
médiatisation aussi. Là, je vais au hasard, à l'envie, ou parfois hélas, fut un
temps, à l'obligation... Je ne sais pas trop si j'ai envie de m'enfermer dans un
style, dans une attitude... Je vais à droite à gauche. Je n'ai jamais pris le
temps de m'arrêter pour réfléchir à ce que je devrais faire, parce que je trouve
que ça n'a pas vraiment d'importance. Je survole tout ça, sans franchement aller
dans le détail. Je préfère le plaisir immédiat et libre plutôt que la
construction laborieuse d'une stratégie de carrière, d'une gestation, d'un
univers ou je ne sais quoi... Je ne me sens pas investi d'un rôle novateur
quelconque ! Je pense que je serais capable de faire des disques bien plus
fouillés que ceux que je fais, et dont je ne suis d'ailleurs jamais satisfait.
J'ai écrit quelques chansons sans doute pas trop mal finalement, mais qui sont
dans des tiroirs, parce que les sortir voudrait dire penser à comment les
présenter, devoir les chanter moi-même, les promouvoir, se mettre en avant d'une
façon cohérente, justifier une démarche, l'assumer... Et en fait, je crois que
je m'en fous ! Je fais des disques comme je joue de la guitare lors d'une soirée
entre potes : « Bon, qu'est-ce qu'on chante ? Tiens, un Beatles, c'est
bien... ». Et voilà. Je ne me prends pas pour un type qui compte, dont le
discours est attendu, et je ne disserte pas sur ma soi-disant créativité, je
joue, sur l'instant. Je fais des disques un peu égoïstes sans doute : pour moi,
sur le moment. Des trucs qui m'amusent. Mais au moins ils sont sans prétention.
Pour moi, ils sont comme un plat, auquel on ne regoûtera jamais, par définition,
et dont l'odeur disparait de la maison quand on va se coucher. Et on passe à
autre chose. Je n'ai instinctivement pas trop conscience qu'en fait, l'objet en
plastique reste. Ce que ça devient ne m'appartient pas et je dois vraiment me
pincer pour réaliser que ça circule après que j'ai fini. Je m'amuse sur le
moment sans prendre ça pour une carrière une seconde. J'essaie de le faire bien,
mais j'ai toujours le sentiment qu'après ça, il faudra que je m'assoie, et que
je pense à m'y mettre pour de bon, avec une démarche sérieuse, crédible et
respectable, pour changer. Ce serait dommage que je ne sorte jamais ce que j'ai
fait de mieux, sans doute. Mais je n'ai ni le temps ni l'envie de me mettre à
peaufiner ça, à analyser, à organiser. Ca ne me parait pas assez important. Pas
prioritaire en tous cas. Moi je sais que ça existe dans un tiroir, et ça me va.
J'y croyais quand j'avais 16 ans, parce qu'à 16 ans, on se dit que ce qu'on fait
peut être important. Mais en fait, les artistes importants, il y en a quelques
uns par siècle. Essentiellement, Elvis, les Beatles, Jackson, et en France
Trenet, Piaf ou Brel. Johnny, sans doute, pour son impact. Voilà. Le reste...
Malgré tout leur immense talent et leur influence bien réelle, que reste t-il
des nombreux autres dans les livres d'histoire du 23ème siècle ? Hendrix
peut-être, pour le symbole. Alors, mes petites chansons... Il y a tellement de
gens qui font ça mieux que moi, ça n'apportera pas grand-chose. Je le ferai un
jour, comme un retraité se paie le voyage qui lui faisait envie quand il courait
après son salaire. Mais là, ça m'encombrerait. J'ai plutôt envie de brancher ma
guitare sans me poser de questions. J'ai d'abord rendu hommage à ce qui m'a
donné envie de débuter, et j'explore les racines de tout ça maintenant. Alors je
vais au plus naturellement simple, au feeling de ces temps-ci : au
blues.
J'ai produit un tas de disques, dont quelques uns un peu
personnels de temps en temps tout en bossant sur mes productions à côté, je suis
passé d'une fonction à l'autre en permanence, sans accorder d'attachement à qui
était quoi... Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir un semblant de carrière ni
eu l'occasion de me rendre compte de l'effet produit, ou du fait que des gens me
voient parfois comme un artiste, et je reste surpris de recevoir à peu près tous
les jours des emails de gens qui me disent que mes albums sont importants pour
eux. Ca me touche, mais j'ai l'impression d'être schizophrène ou que l'on me
parle de quelqu'un d'autre ! Je n'ai d'ailleurs jamais recherché une notoriété
quelconque, sans quoi je n'aurais pas opté pour de la guitare
instrumentale !
Même si le dernier a été à plus de la moitié
écrit par vous, peut-être vous faudrait-il maintenant plus d'albums basés
uniquement sur vos propres compositions ?
Pourquoi pas,
mais les maisons de disques ne voulaient pas, de toute façon. Et puis, c'est
difficile. J'ai un tas de titres de côté comme je disais, mais je n'ose pas trop
les montrer... Moi ce que j'aime, c'est Paul McCartney... Allez montrer vos
chansons sans honte après ça ! Donc, je reste sagement à reprendre ce que
j'aimerais être capable de composer... Je me fais plaisir à coup sûr comme ça...
Je n'ai pas assez d'ego peut-être ! Et puis je manque de temps, aussi... Bien
que j'aie composé la moitié du nouveau disque quand même. Mais c'est par
accident, et j'ai à peu près improvisé les mélodies et les textes en studio.
Bref, on verra ça un jour. Je ferai sûrement quelque chose de différent, de plus
réfléchi. Mais en attendant, j'assume mes albums. Ils font visiblement plaisir à
un tas de gens, et certains titres fonctionnent finalement assez bien,
musicalement. Je verrai le reste plus tard.
Auriez-vous le
sentiment d'avoir bientôt fait le tour de votre façon de
travailler ?
Ah oui, tiens, c'est pas bête, ça... ! C'est
peut-être ça, oui... J'ai cherché à être dans la musique, mais pas à y être
important. Juste à y être, sans stratégie ou plan sur le futur. Et j'ai reçu
sans doute plus que je ne méritais d'ailleurs. Alors je dois ressentir le besoin
de faire un peu mieux maintenant, peut-être... Histoire de mériter pour de bon
les cadres qui encombrent mes murs ! Je vais m'y mettre sérieusement un
jour.
Justement, tirez vous de la fierté des chiffres qui
illustrent votre carrière (disques d'or, etc.) ?
Fierté, ça
n'est pas le mot... Satisfaction, oui, davantage, de n'avoir pas tout raté, que
mes idées aient pu séduire un public. Ca me fait plaisir, mais ça ne m'obsède
pas franchement, même si c'est pratique de quantifier, parce que ça permet de
résumer le résultat d'une activité, d'y poser un regard objectif. On en parle
ici parce que c'est votre job de faire des statistiques là-dessus, certains
autres journalistes m'en parlent aussi, mais si on sort tous les deux dans la
rue, on verra très vite que ça n'a pas grande importance... J'aurais de quoi
être fier si j'avais produit Sergent Pepper des Beatles, ou si j'avais découvert
Ennio Morricone ou Jimi Hendrix, mais ce n'est pas le
cas.
Vous avez cependant enregistré des duos avec quelques
grands noms de la guitare
J'ai beaucoup de chance, oui, que
des guitaristes importants soient venus enregistrer avec moi. Je n'aurais pas
osé en rêvé quand j'ai débuté. C'est toujours enrichissant, et c'est évidemment
plutôt flatteur. Ca n'excite guère les maisons de disques, mais c'est un grand
bonheur pour moi.
Et maintenant ?
Je
travaille doucement sur la promotion d'Out of the blues, un album de guitare qui
vient de sortir, avec 18 titres, dont 13 sont chantés cette fois-ci. C'est un
album caritatif, au profit de Aides et de la lutte contre le sida. J'y fais des
duos, avec Louis Bertignac, Laurent Voulzy, Axel Bauer, Michael Jones, Paul
Personne, Anne Ducros, Beverly Jo Scott, Fred Blondin, et un tas d'autres, comme
les grands guitaristes Hank Marvin (le soliste des Shadows), Scott Henderson,
Albert Lee, Andy Powell, Jake Shimabukuro, etc. On a tourné une pub télé très
drôle avec Michael Jones. C'est un type adorable... Un
bonheur !
Comment cela se passe-t-il commercialement
?
Raisonnablement... Mais on a quand même d'honorables
résultats. On est d'abord sortis en digital. Un joli succès en téléchargement,
avec des titres bien classés sur Itunes, Virgin Mega et ailleurs. Au Top Ifop,
on a été N°3 des albums téléchargés et N°36 des singles. Le cd + dvd physique
est une édition limitée. Les premières ventes nous ont déjà vu recevoir un dvd
de platine, mais les seuils sont devenus assez bas, et si ça reste un résultat
honnête, ce ne sont évidemment plus les exploits quantitatifs
d'autrefois.
Vous avez reçu le soutien d'artistes extérieurs
au projet
Oui. C'était une jolie surprise. Carla Bruni a
soutenu le disque lors de la soirée de lancement. Je ne ferai pas de politique à
ce sujet, mais c'est une artiste que je respecte et une femme qui s'est engagée
depuis longtemps dans la lutte contre le sida, avec sincérité. C'était bien, et
notre photo a produit un buzz important sur le net... Brian May de Queen a eu la
gentillesse de tenir des propos très flatteurs à mon égard, et c'est une chose
dont j'avoue être très fier, car Queen est un exemple de musique qui réussit
sans concession. Quel talent !
Par le passé, vous avez aussi
reçu quelques prix...
Rien de majeur non plus. Un Grand
Prix de la Guitare qui n'aura vécu que deux ans je crois – son concepteur a
disparu prématurément – mais c'était gentil, même si ça reste confiné au petit
milieu de la guitare. Je crois que Matthieu Chédid aurait dû recevoir le suivant
si l'initiateur de cette idée avait vécu. J'adore ce que fait ce garçon. Les
deux prix aux USA sont une jolie surprise, d'une association comme il y en a
tant là-bas. Un award, ça sonne chic ici, mais ça reste presque banal aux USA.
Les américains sont très branchés récompenses et cérémonies, beaucoup plus
qu'ici. Quand vous recevez un diplôme à l'université, il y a tout un cérémonial,
alors qu'ici vous faites juste la queue devant un bureau où vous donne un bout
de papier en râlant ! Mais l'association en question, qui traite de la guitare
uniquement, a eu la gentillesse de penser à moi. Il faut relativiser, il y a eu
une soixantaine d'artistes récompensés je crois... J'ai reçu le Grand Prix du
Jouet en France pour le concept d'un jeu de société musical, et je crois bien
que c'est tout...
Parlons quand même un peu de vos
productions... Etes-vous d'accord pour faire ici un jour une rétrospective
ciblée sur votre carrière de producteur dans l'histoire du Top 50 ? Les chiffres
sont hors normes, ça mérite un article !
Oui bien sûr, avec
plaisir. Je ne suis pas très doué en chiffres, mais je suis le Top (le vrai, pas
les hits de radios ou de chaînes télé, qui ne promotionnent que leurs propres
programmations) depuis plus de 20 ans, chaque semaine, et je comprends votre
intérêt pour cet aspect des choses. Ca a une importance majeure dans notre
profession, car c'est le seul moyen de mesure objective, immédiate et globale de
la réaction qui suscite notre travail discographique, en proportion du marché.
Alors évidemment, quand sur 400 000 références de disques disponibles, le votre
entre dans les 100 qui ont le plus attiré le public, c'est toujours un
évènement... Ca ne m'obsède pas, mais je suis toujours heureux d'apprendre qu'un
disque entre au Top Ifop.
C'est le fantasme ultime de toute
la profession...
Disons que c'est une reconnaissance, c'est
certain. Beaucoup de créateurs, qu'ils soient artistes ou producteurs, passent
leur vie à espérer atteindre cette petite liste là, pour être enfin reconnus
justement, et dans la très grande majorité des cas, ils n'y entrent hélas
jamais, alors en ce sens, oui, c'est évidemment une sorte de rêve professionnel.
Y entrer une fois est déjà un rêve, alors le faire à répétition, c'est inespéré.
En même temps, j'ai produit des disques non classés qui sont bien meilleurs que
certains qui sont entrés au Top !
Puzzle, votre société de
production, pèse jusqu'à 2,3% du marché du disque français... Un record pour un
indépendant
Non, non, elle faisait ça il y a 6 ou 7 ans,
pendant deux ou trois ans, oui, mais ça n'est plus le cas. Plus du tout. Le
marché, ou ce qu'il en reste, a changé et est revenu entre les mains des seuls
catalogues des majors. C'est une petite structure, et je suis derrière chaque
production, très concrètement, ce qui a ralenti mes enregistrements à la
guitare. La fin des années 90 a été une période chargée pour moi comme
producteur. A cette époque j'avais notamment monté deux énormes collections chez
Sony et chez Warner, qui représentaient environ 400 albums, sans compter les
compilations qui s'enchaînaient, souvent avec de très grosses ventes, comme Ti
Amo Italia, dont on a vendu 600 000 exemplaires en trois volumes. Je sortais 380
disques par an ! Alors les chiffres ont explosés. Mais ça a changé, et ça me va
plutôt bien d'ailleurs. Même si j'ai placé 12 000 titres de mon catalogue sur
Itunes et autres, c'est différent à gérer. Le rythme est plus vivable. Je
n'aurais pas aimé avoir une société trop envahissante, je n'ai pas cette
ambition d'être le roi du monde. Je n'ai pas envie de me faire bouffer par ça.
Je ne suis pas assez accro au business, aux seuils de rentabilité, au chiffre
d'affaire, tout ça. Ca m'amuse de sortir des disques, pas trop de grignoter des
parts de marché...
Vous avez cependant lancé en 1999 la
première collection de disques budget (à prix cassé) en
France
Ce n'est pas exactement ça : les disques budgets
existaient ici ou là, mais de piètre qualité pour ne pas dire plus, et
uniquement distribués et produits par des indépendants parfois douteux, basés en
Asie ou dans les pays de l'Est, avec des visuels affreux, ou des mensonges sur
les pochettes (laissant croire que c'était l'artiste original alors que ce
n'était pas le cas, etc.), des droits d'auteurs impayés, voire des
enregistrements piratés. Ca se faisait lors d'opérations coup de poing menées
ponctuellement par les grandes surfaces, et avec des sous produits, jamais chez
les disquaires dits sérieux. Le reste du temps, ou dans les magasins
spécialisés, les disques étaient vendus à plein tarif. Les majors ne se
commettaient pas là dedans. Pour autant, en Angleterre notamment, où les disques
à petit prix restaient de meilleure qualité, ces cd représentaient d'un coup des
ventes non négligeables, car les hypermarchés les proposaient en masse. Je le
savais bien, j'avais sorti des disques instrumentaux pas chers là bas, avec des
ventes importantes à la clé, via un distributeur indépendant. Mais aucune major
ne pratiquait des prix vraiment réduits, ni là-bas ni ici. Il faut se souvenir
qu'à cette époque, les quelques prix bas chez Sony ou Phonogram étaient de 70 à
80 Francs (11 à 12 euros environ), et encore, c'était après au moins 20 ans
d'exploitation, si ce n'est 30. Un album normal coutait entre 120 et 140 Francs,
soit le double des vinyles pas si anciens encore à cette époque. Aussi, j'ai
proposé à Sony de faire une collection inédite à 39 Francs en prix public, parce
qu'il me semblait que les gens n'accepteraient plus très longtemps de payer 70
Francs pour la version cd d'un disque vieux de 30 ans, qu'ils avaient déjà en
vinyle ou en cassette, et qu'ils avaient payé 40 Francs. Ca permettait aussi de
remettre en vente des disques trop peu connus ou trop anciens pour être
crédibles à plein tarif, et d'élargir le marché. Les gens de Sony m'ont hurlé
après... « On n'est pas des épiciers ! On ne brade pas nos artistes ! On les
respecte, on ne les solde pas ! » etc. Bref, des prétextes bidons... Je leur ai
dit qu'ils allaient se faire manger tout cru par ces nouveaux produits, et ils
m'ont ri au nez. Alors j'ai dit : « Ok. Ne le faites pas avec vos artistes.
Faites le avec les miens ». Au bout de 6 mois, j'ai obtenu qu'un disque étiqueté
Sony Music puisse être vendu à 39 Francs, soit 2 fois moins environ que leur
habitude minimale. Ils ont dû créer un code prix spécial et modifier leur
logiciel interne. Ca n'existait tout simplement pas. Il leur a fallu convaincre
leurs commerciaux aussi. Ca a l'air banal maintenant, mais ça a été une
révolution à cette époque chez les majors... La collection a fait hurler toute
la concurrence, et chez Sony même, les gens étaient très divisés, et on m'a dit
que j'allai casser l'économie du disque, que je faisais le jeu des indépendants,
que je dépréciais le marché. Alors qu'à mon sens, on le repositionnait à un
niveau acceptable, et donc on lui donnait une chance de rester durablement
crédible via cette collection, face à ne nouvelles habitudes. Car l'impact de la
nouveauté du cd était terminé, et les gens commençaient à se tourner vers les
vidéos et les jeux. Bref, Sony y allait à reculons. Ils étaient honteux, mais
ils restaient quand même prêts à encaisser l'argent, au cas où... Ils ont appelé
ça « Cd Malins », et c'était disponible deux fois par an, pendant un mois
seulement – c'était la condition de départ. J'ai sorti 138 albums tirés de mon
catalogue, et on a vendu plus d'un million d'exemplaires en 3 opérations d'un
mois chacune. Ils ont été ravis... La distribution est devenue permanente au
bout de deux ans. Sony a alors intégré en catastrophe et avec mon accord une
grosse partie de son propre back catalogue populaire dans la collection (Joe
Dassin, Claude François, et des artistes internationaux), et nous avons aussi
redistribué des références qui n'existaient plus, ce qui était une bonne
nouvelle pour les fans de certains artistes. On a aussi pu sortir des choses
plus pointues, comme des albums de gens qui vendent tellement peu ici que seul
un prix attractif pouvait justifier la fabrication d'un cd. Mes albums de
Grateful Dead ou de Herbie Hancock étaient les seuls disponibles, hors des
imports à 150 Francs pièce... Ca a donné du crédit artistique à la collection,
qui avait aussi intégré des références plus grand public. On a réédité du jazz,
du reggae, du rock progressif, des classiques français comme les premiers albums
de Léo Ferré. Warner m'a ensuite demandé une collection équivalente, et j'ai
monté les Prix Câlins (encore un nom pas terrible, mais je jure qu'il n'est pas
de moi !), en signant 261 albums d'un coup, ce qui ne s'était jamais vu entre un
producteur et une major. Ca a stoppé net les disques qui frôlaient l'escroquerie
dans les bacs à fouille des hypermarchés. Henri de Bodina, qui avait récemment
quitté son poste de PDG de Sony Europe et montait une nouvelle société, m'a
invité à déjeuner et m'a demandé comment j'avais fait... C'était simple : au
même prix que la concurrence sauvage, on proposait aux gens Bob Marley, Edith
Piaf, James Brown ou Luciano Pavarotti, par des opérations limitées, mais avec
de vrais bons disques. On arrêtait de se moquer du monde... Mais je n'étais pas
Robin des Bois non plus, entendons-nous : c'était aussi un bon moyen de vendre
beaucoup de disques !
Beaucoup de ces albums sont entré au
Top ?
Un certain nombre, oui. Je ne saurais pas dire
exactement... Il faudrait que je regarde. Une vingtaine je pense... Peut-être 25
ou 30... Dans ces eaux là... Avec le temps, certains ont fait de vraies grosses
ventes. Il y a quelques disques d'or dans le lot. Mais c'est le cumul de la
collection complète surtout qui atteint des chiffres très
élevés.
Vous avez un parcours très éclectique dans la
production
Oui ! Et j'aime assez ça. J'ai produit de la
variété, du jazz, du classique, de la dance, de la world, des disques pour
enfants. Des trucs bien, et des choses très commerciales aussi, parfois moins
glorieuses. Mais tout a été intéressant.
Avec quelques 230
hits plus une bonne cinquantaine de réentrées au Top, soit plus d'un hit par
mois depuis plus de 21 ans, vous comptez aller jusqu'où comme
ça ??
Plus très loin, je le crains ! On sort de moins en
moins de disques et les ventes sont au fond du trou. En plus, je n'aspire que de
moins en moins à faire des disques juste pour faire des disques. J'ai beaucoup
ralenti depuis 3 ans. J'ai plutôt envie me faire plaisir, et ça n'est pas
toujours ce qui se vend le mieux ! Mais j'aurais eu ma part... Je ne suis pas
sûr que ce soit très important, tout ça... J'ai révisé les chiffres pour pouvoir
vous répondre, mais je ne passe pas mon temps à ressasser tout ça. Ce n'est pas
très utile. Pour draguer les filles peut-être ?! Mon chien se fout de mes
disques au Top 50 en tous cas !
On a passé en revue vos
belles réussites, mais si on était plus critiques... ?
J'ai
ma dose de critiques, croyez-le bien ! On me reproche surtout généralement
d'avoir vendu des disques, crime de lèse-majesté en France ! Je crois aussi
qu'on confond les chiffres de mon petit parcours avec moi, à titre personnel.
C'est-à-dire que certains se disent « Il a des disques d'or ? Quel frimeur ! »
ou des choses de ce genre. On me l'a rapporté, sur le net surtout. Or, je suis
tout sauf ça, mais les gens aiment bien se faire des idées, des stéréotypes, et
la critique est si facile... Le monopole du bon goût est aussi un titre que
certains s'attribuent volontiers. Je laisse parler... Quand c'est arrivé,
certains fans ont pris ma défense ici ou là, et ça a été pire... La critique ne
me gêne pas. C'est bien que tel ou tel connaisseur ou amateur de musique prenne
parti. Qu'il soit de parti pris est plus embêtant... Mais je reçois tous les
jours des messages très gentils, très positifs. Les critiques sont rares,
honnêtement. Mais elles blessent parfois, quand elles ne sont que jalousie ou
mensonges... Je ne suis ni le plus grand guitariste du monde ni le plus grand
producteur. J'ai juste beaucoup travaillé, pas mieux qu'un autre, pas plus mal
non plus, et j'ai eu sans doute un peu de chance...
Entretien :
Dominique Leblond